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Rodica Draghincescu
Craun – Par monts et par vaux


Quelle cochonnerie ! Je me maquille. Moi ? Je ne pleure pas. Je me roulerais sur le tapis. Je pourrais ainsi m’(auto-adoucir). Un peu d’auto-érotisme. Je me l’interdis : Non ! Et donc, non ? Non, je n’ai pas pleuré. Ses déclarations, son désespoir hebdomadaire ne m’ont pas affectée. Je ne pleure pas. Je parcours la génération de I. Pillat. Je mange des bananes, des croissants, des cacahuètes. Je lui donne de l’argent pour son billet de train. Pour que ça n’affecte pas les ressources de sa famille, pour ma bonne conscience. Je mange trois cuillerées de crème fraîche, j’en étale cinq autres sur les épaules, les jambes, les seins. Comment suis-je dans la glace ? J’ai des taches de rousseur. Je mange mal. Je fais des grimaces, je me fais un regard sexuel, je ris. Je ne pleure pas. Noutzou me rappelle, au téléphone, qu’il faut. Ne pas se laisser traîner ! Il ne te mérite pas ! Tu veux que je saute dans un train ? Il se montre l’autre, préoccupé par mes abstinences. Non ! Je le calme. Bien ! Comme tu voudras…Il me calme. L’amoureux ? L’admirateur. L’amoureux est parti faire fortune dans les villes roumaines :Galati, Braila, Amara. Et me reproche, dans la dédicace sur un petit livre, de ne pas être chez moi à 15h 15. Il a appelé, il m’a pas trouvée, il a pris peur, il s’est jeté dans la mer, il a nagé avec moi sur son corps et dans la tête. J’ai pris une douche froide, je me suis proposé de montrer à l’autre (un beau jour), que je ne lui en veux pas, car c’est moi la piégée, ne sachant pas m’en sortir. Une alchimie de mots d’ordre et de formules guide ma caboche. N’y a-t-il qu’un seul coupable ? Je ferme les yeux. Je sens sur chaque joue les injures et les malédictions de l’autre. Je voudrais lui parler, lui poser des questions. Je devrais…A qui devrais-je dire : « Commencent des ténèbres en règle »… ?
Sur la chaîne « Télé 5 » des ballons colorés, fleurs, oiseaux, des parisiennes. Les Français fêtent un truc anti-nucléaire : avec des indiens !!! Il pleut. Dans la petite pièce : habits, cassettes, parfums, posters, livres ouverts, tasses à thé dépareillées, une chaîne Hi-fi « Casio Tone Bank », des dictionnaires de psychanalyse, du lait pour le corps « Ponds », « Nivéa », « L’Oréal », divers flacons petits et grands, cosmétiques, jouets en peluche. Après-demain ! Dory revient de la montagne. Et m’appellera à minuit. Pour me gronder, m’implorer, me conseiller de ne pas partir pour la capitale. Tu ne trouveras que des filles de joie, des intrigants, des affaires douteuses, escrocs et injustice dans la ville du berger Bucur. Salut ! Ca va ? Je ne te dérange pas ? Quand on arrive au mot « gâteau » j’ai l’eau à la bouche. Le gâteau piramijenesaispascomment. Le gâteau du dramaturge. Et que je n’ai pas goûté. Des équivoques viennent m’étouffer. Et alors ? Je me ferais passer pour quelqu’un d’autre, je m’inventerais un truc, une farce mignonne, une pensée de camouflage pour la merveilleuse expression de candeur et de volupté folliculinée…Pourquoi Herr Timi n’appelle pas ? Qu’on bavarde un peu sur Goma, sur les nécessaires personnages du moment. Qu’il explique les essais que l’on fait pendant les rêves, les obsessions littéraires, la musique des grands maîtres. Entre les mots et les paroles : Timi ahane, souffre, indique, délibère, exprime ( tacitement) une agréable violence. Par réflexe offensif, il ne supporte pas ce qui est neutre. Des heures entières sur la prose des absences, de la résignation masculine sur Luca Pitu, sur Hemingway, sur Luca Pitu. Involontairement, je capte l’agitation d’un homme d’une insoupçonnable harmonie. Heureusement, nous n’aimons pas les principales « qualités » de nos ennemis environnants. Il pleut. J’aimerais voir My, qui me manque. Me faire dorloter. My me manque beaucoup. Ses conseils chuchotés aussi. Cette tendance à sectoriser les sympathies est imposée par nécessité M., B., B. Que sont mes émotions, mes obsessions ? Pour citer Liv : cela ne sert à rien de s’émouvoir si on n’a pas la chance d’être touché ! Les émotions, les obsessions sont-elles des illusions, des bêtises ? Il pleut. Et Mirk ? A-t-il toujours mal au dos ? Non ? Les nuages ont libéré la lumière ? Apparemment c’est le retour à ma lamentable solitude. Suis-je déjà dans le modèle culturel de ma destinée ? Il ne s’agit pas de sens mais de leur ténébreuse unité. Je veux de l’ironie. Je veux, j’en veux. Je veux me transformer. Je veux beaucoup d’objets. Un monde d’objets. Je veux mon My. Je l’acclimaterais à n’importe quelle histoire, action. Autrement mon heure sonnerait au réveil à 87.850 leï ! Je ne serais plus avec cet homme brun, poivre et sel, silencieux, apparemment sincère, triste, intelligent, fort intelligent, coquin ? Entre sincère et triste on entend la sirène des pompiers d’à côté. Je ne profite pas de la narration suivante. Je n’ai pas envie de perturbations épiques, ni d’avalanches lyriques. Il pleut toujours ? Je sentais bien que quelque chose était en train de changer, je sens d’ici comme la destinée s’accomplie. Si je ne peux pas éloigner ma tête embourbée dans l’amour est-ce une esquisse de geste abandonné ? Ouais. Je suis en vacances, après la session d’examens. Je lis Nathalie Sarraute, L’Enfance… Et, (toujours au bureau), je me charge (oh, ah, ouf !) : J’écris, je me chasse, je me rattrape, je m’accepte, malgré ce qui m’arrive à petits intervalles de temps. Je me lèche les lèvres. Je suis alors, dans la plus grave ignorance. Je me chuchote, à travers un diable de convention matinale, que je fais de la philosophie comme Marie de France à la cour d’Henri II. Mièvreries de Moyen Âge, immeuble A4B… Sans autres explications, je cours (à nouveau) à la maison animalière.

Les matous feulent, font pipi aux endroits où ils l’ont déjà fait. Ils poussent sous les rideaux des miettes de pain, de saucisson, de tout. L’homme poivre et sel ronfle. Un véritable bazar. Je roule le souvenir, le farcie de moi-même…de façon à ce qu’il tienne lieu, ici, de vide compétitif. Le jeune chat miaule, la-bas, déchire, mâchouille les rideaux, marque son territoire d’urine. Son maître rêve qu’il tient entre les mâchoires des ennemis grassouillets. Je l’essaye à l’écrit. Tout ce qu’il ne fait pas est très bien. Il ronfle, il a un nez gélatineux. Je le décrirais en vrai, avec ironie, si je n’avais point de pitié. J’en ai ? Je l’aime ? J’ai pitié de lui ? Il me plaît ? Un scandale, un retournement de l’officieux, de l’officiel, le « truc » qui vous soutient, spirituel, éternellement étincelant. Comme Pseudolus, ou le comble du grotesque comme Ballio, des fanfarons décrépits et succulents à la Plaute. J’ai envie de jus de fruits, mais il n’y en pas. Après des heures et des heures d’amour, je pense, surexcitée à chacune de mes réussites, à mes nombreux échecs, à la réussite, au diable, que Dieu me le pardonne ! Des voitures passent sur le boulevard. Les fontaines se sont mises en marche. Les réclames multicolores se sont éteintes. Qui est-ce qui m’a poussée, bon Dieu de bon Dieu, à céder à ses insistances déclaratives ? Qui diable m’a jetée dans la robe verte ? Pourquoi je la soulève comme ça ? Ma nonchalance appauvrie l’intelligence, l’imagination, l’intérêt. Je tiens ma robe des deux mains, remontée, attendant que l’homme-étalon trouve pendant son sommeil, comme dans les contes de fées, le seau à charbons ardents magiques, ou l’herbe rebelle, la boîte à vitamines, l’ « apilarnyl », le café… S’il pouvait se réveiller, à la fin ! Qu’il devienne brusque et réel. Est-ce à moi de le tirer du sommeil de l’anti-complicité? Il dort ? Peut-être qu’il n’existe que sur une photo usée, quelque part, en train de serrer les dents…hennissant dans mon dos, figure estompée par le tourbillon de journaux, poussière et feuilles mortes. L’imagination qui serpente par des endroits mystérieux ? J’ai inventé des murs, des livres, je les ai surchargés. J’ai vu des animaux affamés, des vêtements d’étrangers. J’ai…mais je n’ai pas vérifié. C’est comme ça, à l’écrit. Lorsque j’écris, je n’écris pas, je regarde en arrière et je vois ce qui est devant. Le présent ? Vulgaire. Toujours en concubinage avec deux ou trois minutes. L’avenir ? Cleptomane, depuis toujours. Et le temps qui passe - le temps qui trépasse. Je te fais des œufs durs ? Encore ? Ca ne donne pas la jaunisse ? Va dans sa cuisine à lui (ici une narration vindicative serait possible : l’image des casseroles encrassées, noires de fumée, avec des poils collés aux parois). Je reviens. Près de la fenêtre je me calme. Je vois les draps dans la vitre. Entortillé, sur le lit, et les œufs, et ses grands pieds... par-dessus les miens. Il s’est réveillé pâle, couvert de transpiration. Es-ce qu’il sait ? Il s’est réveillé les yeux collés. Il sait ? Quand je me tais, je regarde et je compose en infâme. Je sais que s’il m’appartenait, je le transformerais. Je lui mesure la tête. Bonne pour… Je lui mesure le cou. Un peu court et gros. Voilà un personnage parfait. Chacun de ses organes me servira à écrire un livre d’amour. Avec chaque livre je payerai le tribut de la fidélité et j’atteindrai le bien inexistant. Je lèche la moitié de la fenêtre. Habitudes d’une enfance magique

Fragment du roman Craun / Par monts et par vaux, traduit du roumain par Florica Courriol

© Rodica Draghincescu

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